Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) : Ginkgo biloba (sur la feuille bilobée de cet arbre)

Qui est Johann Wolfgang von Goethe ?


Cet arbre qui, par l’Orient
À mon jardin fut confié,
Livre en sa feuille un sens latent
Qui réjouit l’initié :

Est-ce un unique être vivant,
Qui en soi-même s’est scindé,
Ou sont-ils deux qui s’élisant
Nous font saisir leur unité ?

J’ai pour résoudre ces problèmes,
Trouvé ce sens, judicieux :
Ne sens-tu pas dans mes poèmes
Que je suis Un en étant deux ?


Dieses Baums Blatt, der von Osten
Meinem Garten anvertraut,
Giebt geheimen Sinn zu kosten,
Wie’s den Wissenden erbaut,

Ist es Ein lebendig Wesen,
Das sich in sich selbst getrennt?
Sind es zwei, die sich erlesen,
Daß man sie als Eines kennt?

Solche Frage zu erwiedern,
Fand ich wohl den rechten Sinn,
Fühlst du nicht an meinen Liedern,
Daß ich Eins und doppelt bin?

Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Georg Trakl (1887-1914) : Promenade hivernale en la mineur / Wintergang in a-Moll

Qui est Georg Trakl ?


Sur les branches souvent percent des boules rouges,
Qu’un long tomber de neige enneige, doux et noir.
Le prêtre donne au mort son accompagnement.
Les nuits ont fait le plein de fêtes costumées.

Sur le bourg alors vole une embrouille de freux ;
Il y a, merveilleux, des contes dans des livres.
Les cheveux d’un vieillard flottent à la fenêtre.
Des démons font des pas parmi l’âme malade.

La fontaine a gelé dans la cour. Choient dans l’ombre
Des escaliers en ruine et il souffle du vent
Au travers de vieux puits, qui ont été comblés.
Du givre, le palais goûte la forte épice.


Oft tauchen rote Kugeln aus Geästen,
Die langer Schneefall sanft und schwarz verschneit.
Der Priester gibt dem Toten das Geleit.
Die Nächte sind erfüllt von Maskenfesten.

Dann streichen übers Dorf zerzauste Krähen;
In Büchern stehen Märchen wunderbar.
Ans Fenster flattert eines Greisen Haar.
Dämonen durch die kranke Seele gehen.

Der Brunnen friert im Hof. Im Dunkel stürzen
Verfallne Stiegen und es weht ein Wind
Durch alte Schächte, die verschüttet sind.
Der Gaumen schmeckt des Frostes starke Würzen.

Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Alexandra Bernhardt (née en 1974) : Scheiding / Septembre



Comblé par la splendeur sublime de l’été
Tu entames l’automne. Vois tomber le feuillage,
Un sauvage ballet de feuilles mordorées –
Dont le spectacle a glané ton regard.

Mais que fade à présent te semble cette danse,
Qu’elle est donc, cette lune, une pâle compagne
À l’aune des couleurs du mois des fenaisons.
L’automne, c’est ainsi qu’il perturbe les sens.

Car ce qui doit sans heurt se scinder pour au neuf
Céder l’espace dû dans le cycle annuel
Nous paraît coloré toujours plus en automne
Et beaucoup plus vivant maintenant qu’il se meurt.


Beglücket von des Sommers berückend’ Pracht
Beginnst den Herbst du. Siehe das Laub: es fällt,
Ein wilder Reigen güld’ner Blätter –
So hat das Schauspiel dein Blick geerntet.

Doch ach! wie schal erscheint dieser Tanz dir nun,
Was ist doch dieser Mond ein Geselle bleich
Gemessen an des Heuets Farben.
Solcherart trübet der Herbst die Sinne.

Denn das, was glücklich scheiden muß, Neuem den
Geziemend’ Platz zu schaffen im Jahreskreis,
Scheint Herbstens stets noch bunter uns und
Weitaus lebendiger jetzt: im Vergeh’n.

(in Weisse Salamander, 2020)


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Catulle : portrait de son rival (poème 71)


Qui est Catulle ?


Un puant de l’aisselle, et qu’on fuit à raison,
Goutteux ‒ l’ayant cherché ! ‒, qui traîne son pilon :
Le voilà, ce rival qui bourre ta louloute.
C’est merveille de voir chaque mal propagé :
Chaque fois qu’il la fout, des deux tu es vengé –
Elle souffrant du nez, lui crevant de sa goutte.


Si cui jure bono sacer alarum obstitit hircus,
aut si quem merito tarda podagra secat.
aemulus iste tuus, qui vestrem exercet amorem,
mirifice est a te nactus utrumque malum.
nam quotiens futuit, totiens ulciscitur ambos:
illam affligit odore, ipse perit podagra.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Pline le Jeune : De la vie comme d’un menu de banquet (Lettre à son ami Praesens)


Qui est Pline le Jeune ?


Interminable, ton séjour tantôt en Lucanie, tantôt en Campanie ? « C’est que nous sommes, dis-tu, moi lucanien, ma femme campanienne ». Raison valable pour une absence de quelque durée, mais pas éternelle. Reviendras-tu un jour à Rome ? où tu as dignités, honneurs, amitiés, fortes comme moindres. Jusqu’à quand vas-tu faire ton roi ? jusqu’à quand veiller à loisir, dormir à loisir ? jusqu’à quand sans chaussures, toge en congés, toute la journée libre ? Il est temps que tu regoûtes à ce qui nous pèse, cela n’eût-il pour but que d’éviter à tes plaisirs, saturés, de s’émousser. Saluer un instant, pour mieux apprécier d’être salué ; piétiner parmi la foule pour se plaire en solitude. – Mais je suis là qui retarde, imprudent, le retour où je te pousse ! Car peut-être cela t’engage-t-il à te rouler davantage dans ton farniente : auquel je ne veux pas mettre un terme, mais des intermittences. Comme, t’ayant à dîner, je mêlerais douceurs à plats amers et pimentés pour que ceux-ci réveillent ton appétit qu’auront blasé ceux-là, ta vie de plaisirs, je t’exhorte à le relever parfois de quelque âcreté.


Tantane perseverantia tu modo in Lucania, modo in Campania? ‘Ipse enim’ inquis ‘Lucanus, uxor Campana.’ Iusta causa longioris absentiae, non perpetuae tamen. Quin ergo aliquando in urbem redis? ubi dignitas honor amicitiae tam superiores quam minores. Quousque regnabis? quousque vigilabis cum voles, dormies quamdiu voles? quousque calcei nusquam, toga feriata, liber totus dies? Tempus est te revisere molestias nostras, vel ob hoc solum ne voluptates istae satietate languescant. Saluta paulisper, quo sit tibi iucundius salutari; terere in hac turba, ut te solitudo delectet. Sed quid imprudens quem evocare conor retardo? Fortasse enim his ipsis admoneris, ut te magis ac magis otio involvas; quod ego non abrumpi sed intermitti volo. Ut enim, si cenam tibi facerem, dulcibus cibis acres acutosque miscerem, ut obtusus illis et oblitus stomachus his excitaretur, ita nunc hortor ut iucundissimum genus vitae non nullis interdum quasi acoribus condias. Vale.

in Lettres, livre VII, 3


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Prochaines publications (aux éditions du Bateau ivre, fin novembre 2021)

D’abord, des poèmes en prose : Ville au coude d’un fleuve évoque la vie d’une cité, sans doute antique, de sa fondation jusqu’en ses métiers, ses croyances, ses divertissements. Autant de motifs développés en soixante textes courts relevant du poème en prose, qu’ils théorisent en creux s’il est vrai que souvent les voies en parallèle se lassent d’aller droit, tournent en angle et déterminent des carrefours qu’on aménage de terre-pleins.

Ensuite, des traductions du latin : Martial, La Verve, Le Verbe, 196 épigrammes choisies, traduites et annotées par mes soins. Les épigrammes de Valerius Marcus Martial (né vers 40 de notre ère, mort vers 104), non dénuées à l’occasion d’un charme poétique incontestable et d’une vive sensibilité, constituent une des œuvres les plus comiques de l’Antiquité latine. La présente traduction de 196 (sur plus de 1500) de ces courtes pièces s’efforce de rendre le ton d’origine et la virtuosité stylistique de cet énorme éclat de rire atemporel.

Pline le Jeune : Renvoi d’ascenseur (Lettre à son ami Augurinus)


Qui est Pline le Jeune ?


Si, loué de toi, j’entreprends de te louer, je crains de ne paraître moins professer mon opinion que confesser ma gratitude. Mais peu m’importe de le paraître : je tiens pour excellents tous tes écrits, ceux surtout sur moi. Cela, pour une seule et même raison : ton écriture est supérieure quand tu écris sur tes amis ; je trouve, quand je le lis, supérieur ce qu’on écrit sur moi.


Si laudatus a te laudare te coepero, vereor ne non tam proferre iudicium meum quam referre gratiam videar. Sed licet videar, omnia scripta tua pulcherrima existimo, maxime tamen illa de nobis. Accidit hoc una eademque de causa. Nam et tu, quae de amicis, optime scribis, et ego, quae de me, ut optima lego. Vale.

in Lettres, livre IX, 8


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

Pline le Jeune : Courses de chevaux /vs/ littérature (Lettre à son ami Calvisius)


Qui est Pline le Jeune ?


Tout ce temps, c’est à écrire et lire, dans le calme d’un fort bien-être, que je l’ai passé. « Comment, dis-tu, cela te fut-il possible, à Rome ? » Il y avait des jeux de cirque, genre de spectacle dont je ne suis nullement féru. Rien de nouveau, rien qui varie, rien qu’il ne suffise d’avoir une fois regardé. D’où mon étonnement face à ces milliers d’adultes qui peuvent tels des enfants désirer voir et revoir des chevaux courir et des hommes sur des chars. Si du moins c’était la vitesse des chevaux ou l’adresse des hommes qui les transportait, la raison serait valable : mais ils applaudissent à un chiffon, c’est un chiffon qu’ils adulent, et si durant la course et en pleine compétition les tuniques, les unes ici, les autres là, changeaient d’épaules, ferveur et passion les suivraient et à l’instant ces fameux auriges, ces fameux chevaux qu’ils reconnaissent de loin, dont ils clament les noms, se verraient délaissés. Quelle faveur, quel prestige dans une bien vile casaque ! – chez la populace, mettons, plus vile que la casaque, mais chez des hommes d’un certain poids social ! Eux, quand je me rappelle les voir assis, insatiables de jeux vains, froids, répétitifs, je prends quelque plaisir à, de leur plaisir, n’être pas pris. C’est ainsi que mes moments de liberté, j’aime à les placer sous les auspices de la littérature tous ces jours que d’autres perdent à s’occuper d’amusettes.


Omne hoc tempus inter pugillares ac libellos iucundissima quiete transmisi. ‘Quemadmodum’ inquis ‘in urbe potuisti?’ Circenses erant, quo genere spectaculi ne levissime quidem teneor. Nihil novum nihil varium, nihil quod non semel spectasse sufficiat. Quo magis miror tot milia virorum tam pueriliter identidem cupere currentes equos, insistentes curribus homines videre. Si tamen aut velocitate equorum aut hominum arte traherentur, esset ratio non nulla; nunc favent panno, pannum amant, et si in ipso cursu medioque certamine hic color illuc ille huc transferatur, studium favorque transibit, et repente agitatores illos equos illos, quos procul noscitant, quorum clamitant nomina relinquent. Tanta gratia tanta auctoritas in una vilissima tunica, mitto apud vulgus, quod vilius tunica, sed apud quosdam graves homines; quos ego cum recordor, in re inani frigida assidua, tam insatiabiliter desidere, capio aliquam voluptatem, quod hac voluptate non capior. Ac per hos dies libentissime otium meum in litteris colloco, quos alii otiosissimis occupationibus perdunt. Vale.

in Lettres, livre IX, 6


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle. Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

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