Catulle (84-54 av. J.-C.) : Haro sur la morue ! (poème 42)

tablettes de cire


Accourez de partout, les hendécasyllabes,
Tant que vous êtes tous, tous tant que vous êtes !
Une horreur de morue pensant m’amuser
Refuse de me rendre, à moi, mes tablettes,
Et vous pourriez de ça vous accommoder ?
Vite, au harcèlement, réclamez mon bien !

« C’est qui ? » demandez-vous. ‒ Voyez-la qui vient,
Moche, et que je te mime ! et que je t’affecte !
Que je te rie d’un air de roquet des Gaules !
À vous de l’assiéger, réclamez mon bien :

Dis, pourrie de morue, tu rends les papiers,
Tu les rends, dis, morue pourrie, les papiers ? 

Ah, tu t’en fiches, bouse, ô claque à putains
Ou s’il est rien de pis dont te désigner !
‒ Mais autant le prévoir : ça n’y peut suffire.
Faute de faire mieux, tâchons d’imprimer
Quelque rouge à son front ferré de roquet.
Criez tous derechef en haussant le ton :

Dis, pourrie de morue, tu rends les papiers,
Tu les rends, dis, morue pourrie, les papiers ? 

Mais ça ne sert à rien, rien ne l’impressionne,
Changeons de stratégie comme de registre
Et peut-être aurons-nous plus de réussite :

Dis, Pudeur, Probité, tu rends les papiers ?


Adeste, hendecasyllabi, quot estis
omnes undique, quotquot estis omnes.
iocum me putat esse moecha turpis,
et negat mihi nostra reddituram
pugillaria, si pati potestis.
persequamur eam et reflagitemus.
quae sit, quaeritis? illa, quam videtis
turpe incedere, mimice ac moleste
ridentem catuli ore Gallicani.
circumsistite eam, et reflagitate,
‘moecha putida, redde codicillos,
redde putida moecha, codicillos!’
non assis facis? o lutum, lupanar,
aut si perditius potes quid esse.
sed non est tamen hoc satis putandum.
quod si non aliud potest ruborem
ferreo canis exprimamus ore.
conclamate iterum altiore voce.
‘moecha putida, redde codicillos,
redde, putida moecha, codicillos!’
sed nil proficimus, nihil movetur.
mutanda est ratio modusque vobis,
siquid proficere amplius potestis:
‘pudica et proba, redde codicillos.’


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Retour au bercail (poème 31)

sirmione1


Ô perle, Sirmio, des îles, des presqu’îles,
Toutes, qui sont portées sur les lacs translucides
Et sur la vaste mer par Neptune le double*,
Mais que j’ai de plaisir, de joie, à te revoir
Osant à peine croire avoir quitté Thynie
Et champs bithyniens et te voir sans péril !
Est-il plus grand bonheur que libre de soucis,
De décharger son âme, et de revenir, las
De périples lointains, où l’on a sa demeure,
D’y prendre du repos sur un lit désiré ?
C’est là ce qui seul compte après tant de périples,
Charmante Sirmio, salut, fête ton maître ;
Vous aussi fêtez-le, eaux du lac lydien**,
Et qu’à la maison rie tout ce qu’il est de rires !

* : la mer adriatique et la mer tyrrhénienne ; autre interprétation possible : la Méditerranée et l’océan.
** : il s’agit du lac de Garde : Fr. Noël donne ces deux interprétations de l’épithète : « parce que […] le lac de Garde  roulait des sables d’or, comme le Pactole, fleuve de Lydie ; ou , parce qu’il avait été soumis à la domination des Étruriens ( = Étrusques), originaires de Lydie. »

Paene insularum, Sirmio, insularumque
ocelle, quascumque in liquentibus stagnis
marique vasto fert uterque Neptunus,
quam te libenter quamque laetus inviso,
vix mi ipse credens Thuniam atque Bithunos
liquisse campos et videre te in tuto.
o quid solutis est beatius curis,
cum mens onus reponit, ac peregrino
labore fessi venimus larem ad nostrum,
desideratoque acquiescimus lecto?
hoc est quod unum est pro laboribus tantis.
salve, o venusta Sirmio, atque ero gaude,
gaudete vosque, o Lydiae lacus undae,
ridete quidquid est domi cachinnorum.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Homme du monde et poète exécrable (poème 22)

bissac 1


Ce Suffenus, Varus, que tu connais fort bien,
Est un homme charmant, verveux et distingué,
Et il écrit des vers, en très, en très grand nombre,
Il en a bien dix mille ou plus, comme je pense,
À son actif ; et pas transcrits sur du papier
Recyclé : sur vélin, avec jaquettes neuves,
Des dos neufs, des étuis à fermeture rouge,
Massicotés bien droit, et parés à la pierre*.
Ces vers, quand tu les lis, ce beau, ce distingué
De Suffenus : bonjour le chevrier, le plouc !
Ce n’est plus le même homme, il y a désaccord.
Que faut-il en penser ? Tenu pour bel esprit
Tout à l’heure ‒ ou bien mieux : pour expert en finesses ‒,
Le voici plus grossier que grossier péquenaud
Dès qu’il touche au poème ‒ et le même jamais
Ne se sent plus heureux qu’écrivant des poèmes :
Plein de béatitude, il s’admire lui-même.
‒ On est sa propre dupe, et il n’y a personne
En qui l’on ne remarque un peu de Suffenus.
On a chacun sa part d’illusion, sans voir
La poche du bissac qui pend sur notre dos.

* J’ai adapté à nos livres actuels la description de Catulle, qui est celle du volumen.

Suffenus iste, Vare, quem probe nosti,
homo est venustus et dicax et urbanus,
idemque longe plurimos facit versus.
puto esse ego illi milia aut decem aut plura
perscripta, nec sic ut fit in palimpsesto
relata: cartae regiae, novi libri,
novi umbilici, lora rubra membranae,
derecta plumbo et pumice omnia aequata.
haec cum legas tu, bellus ille et urbanus
Suffenus unus caprimulgus aut fossor
rursus videtur: tantum abhorret ac mutat.
hoc quid putemus esse? qui modo scurra
aut si quid hac re tritius videbatur,
idem infaceto est infacetior rure,
simul poemata attigit, neque idem umquam
aeque est beatus ac poema cum scribit:
tam gaudet in se tamque se ipse miratur.
nimirum idem omnes fallimur, neque est quisquam
quem non in aliqua re videre Suffenum
possis. suus cuique attributus est error;
sed non videmus manticae quod in tergo est.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Une andouille sur un pont (poème 17)

pont de bois


Colonie*, tu voudrais des jeux sur ton pont long,
Parée pour y danser, mais tu crains pour les piles
Branlantes du ponceau en planches recyclées
‒ Qu’il n’aille s’imprimer dans le marais profond.

Que t’échoie un bon pont, comme tu le souhaites,
Souffrant même les bonds sacrés des Saliens,
Mais fais-moi, Colonie, ce plaisir rigolard :
Je veux qu’un mien pays, précipité, s’immerge
De ton pont dans la boue ‒ et de la tête aux pieds ‒,
Là où de tout le lac et du marais putride,
Au comble du verdâtre est profond le bourbier.

C’est un couillon, sensé comme un gnard de deux piges
Qui sommeille, bercé dans les bras de son père,
Et l’époux d’un tendron dans son plus de fraîcheur,
D’un tendron délicat plus que tendre chevreau,
À surveiller de près, plus que vendange mûre :

Elle peut s’amuser à sa guise, il s’en fiche,
Il reste sans bander dans son coin ‒ tel gît l’aulne
Dans le fossé, tranché à la hache ligure ‒,
Ressentant tout pareil que si de rien n’était :
O stupeur ! Il est tel qu’il ne voit, n’entend rien,
Il ne sait qui il est, ni s’il existe ou pas.

C’est l’homme que je veux balancer de ton pont,
Secouant, s’il se peut, sa torpeur imbécile,
Laissant dans la boue lourde, imprimée, sa jugeote
Comme uu mulet son fer dans le bourbier gluant.

* : Il s’agit d’une ville (on ignore laquelle précisément) construite sur un île, et accessible par un vieux pont de bois.

O Colonia, quae cupis ponte ludere longo,
et salire paratum habes, sed vereris inepta
crura ponticuli axulis stantis in redivivis,
ne supinus eat cavaque in palude recumbat;
sic tibi bonus ex tua pons libidine fiat,
in quo vel Salisubsili sacra suscipiantur:
munus hoc mihi maximi da, Colonia, risus.
quendam municipem meum de tuo volo ponte
ire praecipitem in lutum per caputque pedesque,
verum totius ut lacus putidaeque paludis
lividissima maximeque est profunda vorago.
insulsissimus est homo, nec sapit pueri instar
bimuli tremula patris dormientis in ulna.
cui cum sit viridissimo nupta flore puella –
et puella tenellulo delicatior haedo,
asservanda nigerrimis diligentius uvis –
ludere hanc sinit ut lubet, nec pili facit uni,
nec se sublevat ex sua parte, sed velut alnus
in fossa Liguri iacet suppernata securi,
tantundem omnia sentiens quam si nulla sit usquam,
talis iste meus stupor nil videt, nihil audit,
ipse qui sit, utrum sit an non sit, id quoque nescit.
nunc eum volo de tuo ponte mittere pronum,
si pote stolidum repente excitare veternum
et supinum animum in gravi derelinquere caeno,
ferream ut soleam tenaci in voragine mula.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : À ses compagnons, pour qu’ils parlent à sa maîtresse (poème 11)

Fleurs de tournesols fanées (Van Gogh, 1887)


Furius et Aurelius, compagnons de Catulle
Quand il pénétrera au plus profond des Indes
Aux rivages battus par la mer d’Orient
____De longue résonance,

Chez les Hyrcaniens, dans la molle Arabie,
Aux pays de Saga, des Parthes porte-flèches,
Jusqu’aux étendues d’eau que colore le Nil
____Au septuple estuaire ;

Quand il traversera les montagnes des Alpes,
Verra les monuments de notre grand César,
Le Rhin baignant la Gaule, et l’horrible Bretagne
____Aux confins de la terre,

Tous ces lieux où voudront que nous allions les dieux,
Et que nous serons prêts, ensemble, à affronter :
Faites-vous messagers auprès de ma maîtresse
____De ces mots sans douceur :

« Qu’elle vive, établie avec ses débauchés
Et se fasse embrasser par trois cents à la fois,
Sans aimer aucun d’eux, mais leur brisant à tous
____Et rebrisant les reins,

Et n’envisage plus, comme avant, mon amour,
Qui, par sa faute, est mort, comme est morte la fleur
En bordure du pré, après qu’à son passage
____L’a touchée la charrue. »


Furi et Aureli, comites Catulli,
siue in extremos penetrabit Indos,
litus ut longe resonante Eoa
____tunditur unda,

siue in Hyrcanos Arabesque molles,
seu Sagas sagittiferosue Parthos,
siue quae septemgeminus colorat
____aequora Nilus,

siue trans altas gradietur Alpes,
Caesaris uisens monimenta magni,
Gallicum Rhenum, horribilesque, ulti-
____mosque Britannos,

omnia haec, quocunque feret uoluntas
caelitum, temptare simul parati:—
pauca nuntiate meae puellae
____non bona dicta.

cum suis uiuat ualeatque moechis,
quos simul complexa tenet trecentos,
nullum amans uere, sed identidem omnium
____ilia rumpens:

nec meum respectet, ut ante, amorem,
qui illius culpa cecidit uelut prati
ultimi flos, praetereunte postquam
____tactus aratro est.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Vieux bateau (poème 4 : Phaselus ille)

Régates (G. Caillebotte)


Ce poème, qui fait sans doute allusion au retour par voie d’eau de Catulle de Bithynie à Vérone, a pour particularité d’être écrit en sénaires iambiques purs : ce vers se compose de six iambes consécutifs, soit de six fois une syllabe courte, une syllabe longue. L’ensemble relève ainsi d’une virtuosité certaine, d’autant qu’il est encore plus complexe de faire coïncider l’accent de l’iambe (sur la syllabe longue) avec celui du mot (dont la place est variable en latin) : j’essaie de le montrer dans les enregistrements qui suivent, à partir quelques exemples.


Ce bateau, là, que vous voyez, les gens,
Fut des vaisseaux, dit-il, le plus rapide,
Nul bout de bois, lancé, flottant, sur l’onde,
Ne put le devancer, prît-il à force
De rames ou de voiles son envol.
Nul pour l’en démentir, ni redoutable,
Dit-il, Adriatique ni Cyclades,
Rhodes fameuse ou l’effroyable Thrace,
Propontide, terrible baie du Pont,
Où il était, avant d’être bateau,
Forêt feuillue ‒ car en haut du Cytore
Souvent siffla son jacasse feuillage.
« Vous, Amastris du Pont, Cytore aux buis,
Cela vous fut, cela vous est, connu »,
Dit le bateau. « J’ai, d’antique origine,
Pris mon essor, fait-il, à ton sommet,
Puis j’ai plongé mes rames dans tes eaux,
De là porté, sur tant de flots rageurs,
Mon capitaine, qu’à bâbord, tribord
Vînt l’appeler la brise, ou qu’un bon vent
Soufflât d’un coup par toute la voilure.
Jamais voué aux dieux du littoral,
Je suis venu des lointains maritimes
Jusques aux bords de ce lac aux eaux claires. »
Mais c’est fini : retiré, désormais,
Il vieillit, calme, et à vous se consacre,
Jumeau Castor et jumeau de Castor.


Phasellus ille, quem uidetis, hospites,
ait fuisse nauium celerrimus,
neque ullius natantis impetum trabis
nequisse praeterire, siue palmulis
opus foret uolare siue linteo.
et hoc negat minacis Hadriatici
negare litus insulasue Cycladas
Rhodumque nobilem horridamque Thraciam
Propontida trucemue Ponticum sinum,
ubi iste post phaselus antea fuit
comata silua; nam Cytorio in iugo
loquente saepe sibilum edidit coma.
Amastri Pontica et Cytore buxifer,
tibi haec fuisse et esse cognitissima
ait phaselus: ultima ex origine
tuo stetisse dicit in cacumine,
tuo imbuisse palmulas in aequore,
et inde tot per impotentia freta
erum tulisse, laeua siue dextera
uocaret aura, siue utrumque Iuppiter
simul secundus incidisset in pedem;
neque ulla uota litoralibus deis
sibi esse facta, cum ueniret a mari
nouissimo hunc ad usque limpidum lacum.
sed haec prius fuere: nunc recondita
senet quiete seque dedicat tibi,
gemelle Castor et gemelle Castoris.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Le cycle d’Ameana (poèmes 41 et 43)

Femme assise (Picasso, 1938)


Ameana, fille fourbue de baise,
M’a demandé tout un paquet de pèze
‒ Oui, cette fille aux narines si moches,
La bonne amie du failli de Formies.
Vous attachés à la fille, ses proches !
Faites venir médecins et amies :
La fille est dingue ! ‒ Ah, vous voulez savoir ?
Elle hallucine en zieutant son miroir.


Salut, la môme au nez pas court,
Au pied pas beau, aux yeux pas noirs,
Aux doigts pas longs, au bec pas sec,
À la tapette pas fleurie,
Nana du failli de Formies.
On te dit belle en ta province,
On te compare à ma Lesbie ?
‒ Siècle de fous, siècle de ploucs !


Ameana puella defututa
tota milia me decem poposcit,
ista turpiculo puella naso,
decoctoris amica Formiani.
propinqui, quibus est puella curae,
amicos medicosque conuocate:
non est sana puella, nec nec rogate
Qualis sit, solet aes imaginosum !


Salve, nec minimo puella naso
nec bello pede nec nigris ocellis
nec longis digitis nec ore sicco
nec sane nimis elegante lingua,
decoctoris amica Formiani.
ten prouincia narrat esse bellam?
tecum Lesbia nostra comparatur?
o saeclum insapiens et infacetum!


Ces traductions originales, dues à Lionel-Édouard Martin, relèvent du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de les diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Juventius est un petit con (poème 99)

Garçon mordu par un lézard [détail] (Caravage, 1594)


Pas plus qu’aucun Romain de son époque, Catulle ne dédaigne certaines amours que, a-t-on pu dire (François Noël, Poésies de Catulle, 1805), « la moralité réprouve ». En témoigne ce petit tableau, « d’une expression charmante, tout en est délicat, passionné ; et l’on ne peut en blâmer que l’objet, et l’expression dégoûtante de saliva lupæ, qui contraste avec le ton du reste » (ibidem). Je cite sourire, bien sûr,  aux lèvres.

Je t’ai pris ‒ tu jouais ‒, Juventius, mon miel,
Un bécot plus doucet que la douce ambroisie.
Mais pas impunément : j’en ai, je m’en souviens,
Pendant une heure et plus souffert de haute croix,
Le temps que d’expier, sans en pleurant pouvoir
Alléger, si peu fût, ta cruauté d’enfant :
Baiser dès que donné, tu as à pleines mains
Essuyé la rosée qui t’humectait les lèvres,
Pour que rien de ma bouche, ah ! ne te contamine,
‒ Bave sale, eût-on cru, de louve compissée*.
Tu m’as voué, hélas, à l’amour malheureux
Longtemps, m’as fait souffrir tourments de toutes sortes,
Transformant mon larcin, qui était d’ambroisie,
En bécot plus amer que l’amère hellébore.
Puisqu’ainsi tu châties un amour malheureux,
Je ne te prendrai plus ‒ jamais ! ‒ aucun baiser.

* Lupa signifie aussi prostituée de bas étage. On voit dès lors quel usage ladite louve a pu faire de sa bouche, compissé, qui traduit exactement le latin commictus, n’étant qu’un euphémisme désignant autre chose…

Surripui tibi dum ludis, mellite Iuuenti
suauiolum dulci dulcius ambrosia.
Verum id non impune tuli, namque amplius horam
suffixum in summa me memini esse cruce
dum tibi me purgo nec possum fletibus ullis
tantillum uestrae demere saeuitiae.
Nam simul id factum est multis diluta labella
guttis abstersisti omnibus articulis.
ne quicquam nostro contractum ex ore maneret,
tamquam commictae spurca saliua lupae.
praeterea infestum misero me tradere amori
non cessasti omni excruciarique modo,
ut mi ex ambrosia mutatum iam foret illud
suauiolum tristi tristius elleboro.
quam quoniam poenam misero proponis amori
numquam iam posthac basia surripiam.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Quel bonheur d’être pauvre ! (poème 23)

Autoportrait (EgonSchiele, 1911)


Furius, tu n’as esclave ni huche,
Punaise ni feu, pas plus qu’araignée,
Mais tu as un père, une belle-mère
Aux dents qui pourraient broyer du silex.
Ça va bien pour toi, avec ton papa,
Et l’épouse en bois de ton paternel.
Rien d’étonnant : tous, vous vous portez bien,
Vous digérez bien, n’avez rien à craindre,
Ni les incendies, ni maisons qui croulent,
Ni faits malveillants, cuisantes piqûres
Ni aucun danger risquant d’advenir.
Vous avez des corps plus secs que la corne,
‒ Ou s’il y a rien de plus sec encore ‒,
C’est grâce au soleil, au froid, à la faim.
Tu as vraiment lieu d’être bien, heureux :
Car tu ne sues pas, ne salives pas,
Tu ne mouches pas, n’as la goutte au nez.
C’est propre, tout ça, mais plus propre encore :
Tu as le cul net plus qu’une salière,
Ne chiant pas plus que dix fois par an
Un caca plus dur que fève ou caillou
Dont le triturant, le manipulant,
Tu ne pourrais point te souiller le doigt.
Ce sont, Furius, de grands avantages,
Que tu peux vanter, sans les minorer :
Laisse donc tomber le cent de sesterces
Que tu nous mendies : tu es si heureux !


Furi, cui neque seruus est neque arca
nec cimex neque araneus neque ignis,
uerum est et pater et nouerca, quorum
dentes uel silicem comesse possunt,
est pulcre tibi cum tuo parente
et cum coniuge lignea parentis.
nec mirum: bene nam ualetis omnes,
pulcre concoquitis, nihil timetis,
non incendia, non graues ruinas,
non facta impia, non dolos ueneni,
non casus alios periculorum.
atqui corpora sicciora cornu
aut siquid magis aridum est habetis
sole et frigore et esuritione.
quare non tibi sit bene ac beate?
a te sudor abest, abest saliua,
mucusque et mala pituita nasi.
hanc ad munditiem adde mundiorem,
quod culus tibi purior salillo est,
nec toto decies cacas in anno;
atque id durius est faba et lapillis.
quod tu si manibus teras fricesque,
non umquam digitum inquinare posses
haec tu commoda tam beata, Furi,
noli spernere nec putare parui,
et sestertia quae soles precari
centum desine: nam sat es beatus.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

Catulle (84-54 av. J.-C.) : Se faire une raison (poème 8)

messaline


Pauvre Catulle, arrête ton délire,
Tiens pour perdu ce que tu vois péri.
De clairs soleils ont lui pour toi jadis
Quand tu allais où te menait ta môme
Aimée de toi plus que sera nulle autre.
Alors, au temps des plaisirs innombrables,
Tu disais oui, ta môme jamais non,
‒ De clairs soleils, c’est sûr, ont lui pour toi !
Elle ne dit plus oui : dis non, Dufaible !
Laisse la fuir : ne vis plus malheureux,
Tiens bon, que cela dure, sois constant.
La môme, adieu : Catulle, là, tient bon,
Tu ne veux plus ? Finies, quêtes, requêtes.
Tu souffriras, requise de personne,
‒ Garce, de vie, que te restera-t-il ?
Qui, là, pour t’aborder, te trouver belle ?
À qui, faisant l’amour, te dire sienne ?
À qui, le bécotant, mordre les lèvres ?
‒ Mais Catulle, sois ferme, toi, tiens bon !


Miser Catulle, desinas ineptire,
et quod vides perisse perditum ducas.
fulsere quondam candidi tibi soles,
cum ventitabas quo puella ducebat
amata nobis quantum amabitur nulla.
ibi illa multa cum jocosa fiebant,
quae tu volebas nec puella nolebat,
fulsere vere candidi tibi soles.
nunc jam illa non vult: tu quoque impotens noli,
nec quae fugit sectare, nec miser vive,
sed obstinata mente perfer, obdura.
vale puella, jam Catullus obdurat,
nec te requiret nec rogabit invitam.
at tu dolebis, cum rogaberis nulla.
scelesta, vae te, quae tibi manet vita?
quis nunc te adibit? cui videberis bella?
quem nunc amabis? cujus esse diceris?
quem basiabis? cui labella mordebis?
at tu, Catulle, destinatus obdura.


Cette traduction originale, due à Lionel-Édouard Martin, relève du droit de la propriété intellectuelle.  Il est permis de la diffuser, à la condition expresse que le nom du traducteur soit clairement indiqué.

 

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